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Actualites locales Moyen et Haut Verdon...

La page poésie d'Odile : Les forçats du pinceau

3 Mai 2024 , Rédigé par verdon-info Publié dans #Image et poésie

MR Rousset dit Kiki

MR Rousset dit Kiki

Les forçats du pinceau

A l’occasion de cette fête du travail qu’on ne peut tout de même pas négliger et en l’honneur de tous nos travailleurs, une page un peu spéciale aujourd’hui, je vous propose un poème « local » et comique, dédié par Elio Orlandini, patron du bar de l’Union à l’époque et décédé à ce jour, à des personnes également décédées mais chères au cœur des Saint Andréens qui les ont connues. Qui se souvient d’Elio Orlandini et de Kiki Rousset auront une pensée émue pour ces « figures » pétries d’amitié. Notez au passage les alexandrins parfaits et le sens de l’humour de l’auteur. On ne peut nier un solide talent inné de la rime, du rythme et de la versification.

       

  Les forçats du pinceau

Voulant refaire un jour la vieille devanture

Du café de l’Union, je donnai la peinture

A mon ami Kiki expert dans ce travail,

Il me fournit bientôt le devis en détail :

-« Demain me disait-il je commence la tâche,

Et je vais travailler nuit et jour sans relâche,

J’ai de bons ouvriers, eux j’y suis obligé,

Un manœuvre maçon et un bon : L.J.C. 

Le chantier, chers amis, est à ma convenance

J’en aurai pour huit jours sinon neuf je le pense ;

Maintenant le chantier je le mène rondeau,

Et qu’il vente ou qu’il pleuve, qu’il fasse froid ou chaud

Les délais convenus je les respecterai

Avec mes deux lascars de mon mieux je ferai. »

Il avait engagé pour cette œuvre maîtresse

Un niçois, son ami, n’ayant aucune adresse

Puis un certain Léon que vous connaissez bien

C’était un bricoleur mais il ne « cassait » rien.

Nous étions en juillet, la chaleur était forte,

De bon matin déjà cette équipe était morte.

Le Léon arrivait le premier au travail,

Avant de commencer mangeait deux têtes d’ail.

Il se mettait alors en quête d’une échelle

Attendait le Niçois qui s’appelait Brandelle ;

Celui-là sur les bords était un peu faignant

Avait du bla, bla, bla, mais pour travail néant…

La société, disons, était toute nouvelle,

Pour les trois il n’y avait seulement qu’une échelle.

Le matin à neuf heures dans ce triste chantier

Tous les pots de peinture étaient sur le palier.

Quand arrivait Kiki il était fou de rage,

Avec ses grosses mains se cachait le visage.

Il allait, il venait, il jurait sur sa vie,

Qu’il ne pourrait jamais honorer le devis.

« Bande de fainéants forcez un peu l’allure !

Sinon je vais sévir et prendre des mesures !

Car nous devions finir le travail là dehors

Avant d’être trop vieux et avant d’être morts.

Ce n’est pas avec vous que je ferai mon beurre. »

A la montre du  bar c’était déjà onze heures !

L’été battait son plein et notre ami Brandelle,

Les deux pouces enfilés au bas de sa bretelle,

Attendait, nonchalant, sur l’échelle appuyé,

Parlait avec Léon, avait l’air ennuyé !

Ils discutaient un peu sur le travail à faire

Mais attendant surtout que je leur offre un verre.

N’étant pas satisfait du travail accompli

Je rouspétais très fort mais les verres remplis

Ils burent le pastis sans se faire de bile,

Ils allèrent manger car c’était midi pile.

Peut-être savez-vous, du moins moi je le pense

Qu’à cette époque-là, il y a le Tour de France,

Brandelle était sportif -on ne l’aurait pas dit-

Et avec le Kiki parlaient de Gimondi.

L’après-midi chez moi ils se mettaient à l’aise,

Se fumaient un ninas, dormaient sur une chaise,

Et quand l’Eurovision terminait sa revue,

Le Tour était passé mais eux n’avaient rien vu.

Léon, dans le bistrot, lui l’avait vraiment belle :

« Je ne travaille pas s’il n’y a pas Brandelle » !

C’est ainsi que le soir, dans tout ce va et vient

Rien n’avait été fait, mais alors rien de rien.

Quand ils étaient à deux ils n’en foutaient pas lourd,

L’un était ensuqué et l’autre était balourd.

Kiki, pauvre Kiki, n’en croyait pas ses yeux !

Et d’un ton affaibli, presque silencieux,

Disait « s’ils continuent à faire les andouilles

Ils vont tout me manger, la peinture et les c… »

C’était un cinéma, quelque chose d’unique,

Tous les trois réunis c’était de vrais comiques.

Du matin jusqu’au soir et ça, je vous le jure,

On les voyait partout, sauf sur la devanture.

Pour faire ce chantier il leur fallut trois mois,

Kiki alors m’a dit de sa plus belle voix :

« Le chantier est fini, je l’ai échappé belle,

A trois on a gagné une petite échelle.

Ce n’est pas le Pérou, volontiers je l’admets,

Car moi sur une échelle je n’y monte jamais ».

Ainsi se termina l’incroyable aventure

De ce chantier pilote et de Kiki peinture.

La société mourut au bout de quelque temps

Kiki se porte bien malgré le poids des ans.

Nicolino* m’a dit « il faut que tu promènes »

Lui, très heureux, s’en va deux, trois fois par semaine

Du coté de St Trop se dorer au soleil,

Car pour la belle vie il n’a pas son pareil.

 

*Nicolino : Docteur de l’époque, malheureusement décédé prématurément. Epilogue :

« J’ai un peu hésité à recopier ces quelques lignes que j’avais écrites à l’occasion d’un banquet (un parmi tant d’autres…)

Je ne crois pas manquer de respect au souvenir que nous avons du pauvre Kiki. Nous étions une belle équipe et si nous l’avons chahuté de son vivant, c’est parce qu’il avait un caractère porté vers l’amitié, les gens. Et c’était mon ami ».        Elio Orlandini

 

 

Fernand léger – Les constructeurs – 1950

La page poésie d’Odile – mai 2024

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