La page poésie d'Odile : Art et commémoration

14 Mai 2024 , Rédigé par verdon-info Publié dans #Image et poésie

Art et commémoration

Les premiers exemples français de monuments portant les noms de combattants morts sont apparus à la fin XVIIIème siècle. (Après la guerre de 1870 notamment pour commémorer les soldats morts lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et des guerres coloniales.)

Puis Napoléon Bonaparte, encore consul, ordonne d'élever des Colonnes départementales « à la mémoire des braves du département morts pour la défense de la patrie et de la liberté » et d'y graver les noms de « tous les militaires domiciliés dans les départements qui, après s'être distingués par des actions d'éclats, seraient morts sur le champ de bataille. » Ceci n’a pas été vraiment suivi d’effet. L’arc de triomphe de l'Étoile, dont la construction débute en 1806, porte seulement le nom d'officiers supérieurs, qui ne moururent pas forcément au combat, et parfois encore vivants lors de la construction du monument.

Les monuments aux morts sont rarement considérés comme des œuvres d’art, ils sont souvent sous la forme d’une simple colonne, plaque ou pyramide décorée où sont inscrits les noms des soldats morts pour la France. Mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai sélectionné quelques monuments qui m’ont touchée par leur beauté ou l’émotion qu’ils dégagent. Le sculpteur Antoine Bourdelle, non des moindres, (praticien dans l'atelier d'Auguste Rodin) participe au concours pour le Monument aux morts de la guerre de 1870 à Montauban, sa ville natale. Ce monument est celui que je préfère car sur le thème mythologique du centaure, il dégage puissance et combattivité, il magnifie, et déifie presque, les combattants français.

Le Monument aux morts de Lodève a été réalisé en 1930 par le célèbre sculpteur français Dardé. Traumatisé par la grande guerre, aux portes de la folie, alors qu’il vole vers la gloire, Dardé choisit de revenir dans sa région natale pour ériger des monuments aux morts. Il est composé d'un groupe de quatre femmes et deux enfants noirs devant un gisant, symbolisant la douleur après la perte du père lors de la Première Guerre mondiale

Plus incroyable encore, l’histoire du monument aux morts de Trévières en Normandie qui m’émeut beaucoup. Sculpté en 1920 par le sculpteur local Edmond de Laheudrie, maire de la commune, il a été endommagé au cours de la Seconde Guerre mondiale par un éclat d’obus lors des combats du débarquement du 6 juin 1944 (obus de Marine tiré depuis Omaha Beach). La partie inférieure du visage de la statue a été arrachée. Cette femme ailée portant un casque, drapée dans une longue robe, et qui à l’origine représentait la victoire, est devenue symbole des « gueules cassées » de la guerre 14-18. Le choix a été fait par la commune de ne pas faire réparer cette statue en souvenir des combats de 1944. Cette statue, également le symbole de la France meurtrie mais toujours debout, a été copiée par les américains, touchés par son histoire lors de leur venue en Normandie.

Ces monuments illustrent de façon glorieuse le poème de Paul Eluard, sans ponctuation aucune, à la mode surréaliste. Il dégage une force virile en même temps que de la tendresse envers les peuples opprimés et la ville de Paris meurtrie (anaphore « Paris », 9 fois répété). On constate une personnification de la ville car le poète s’adresse à elle directement (« Tu ne supportes pas », « tu vas te libérer »), et avec beaucoup d’amour. Notez le retour de l’espoir dans la deuxième partie du poème avec un champ lexical fourni sur le renouveau : étoile, s’allume, espoir, rayon, lumière, matin, printemps, naissant.

Un vers se détache qui pourrait accompagner toutes les commémorations : « Les meilleurs d'entre nous sont morts pour nous ». Une belle formule aussi, un peu sibylline : « Leur sang retrouve notre cœur » : qui peut signifier que le sang n’a pas été répandu pour rien car, à la façon d’une transfusion, il va nous aider à survivre.