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La page poésie d'Odile : Les animaux malades de la peste

20 Janvier 2022 , Rédigé par verdon-info Publié dans #Image et poésie

La page poésie d'Odile : Les animaux malades de la peste

Les animaux malades de la peste. Jean de La Fontaine

Une fable toujours dans l’air du temps : Quelques mots pour aider les ados à s’y retrouver…

J’aime beaucoup les fables, mon père en écrivait et je m’y suis mise aussi, pour le fun. La fable est un court récit illustrant une morale. (Celle-ci est plus longue que la moyenne : 64 vers). La Fontaine, poète de l’époque classique (XVIIème siècle), remet au goût du jour le genre de la fable, en s’inspirant des Anciens, notamment du fabuliste Esope. On l’a même accusé de le plagier  (copier). La forme de la fable correspond parfaitement au modèle classique : être bref et, en même temps « plaire et instruire ». Il utilise le plus souvent le monde animal pour dénoncer les injustices de son temps. Dans la fable, l’animal possède les qualités et les défauts de l’homme et ce monde créé par La Fontaine est la représentation de la société du 17ème siècle. (Ce n’est pas nouveau : Le « Roman de Renart » mettait déjà en scène une société animalière dès le XIIème siècle). Cela lui permet de critiquer le roi et la cour tout en évitant la censure1. Le Lion peut être comparé au Roi de France, qui a le pouvoir absolu et qui détient une certaine impunité. De plus, le Lion se considère comme l'intermédiaire entre le ciel et les animaux, comme le Roi dit détenir son pouvoir de Dieu. (Souvenons-nous du pharaon qui se disait le représentant de Dieu sur terre). L'âne, lui, est le représentant du peuple, car il n’a pas de pouvoir et peu d'instruction. Quant au Renard, par son attitude flatteuse, il symbolise les courtisans qui font les louanges du roi pour rester dans ses bonnes grâces. Le Loup et les autres animaux en général représentent la justice (noter le champ lexical de la justice : « harangue », « clerc », jugement » et la mise en place d’une sorte de tribunal). 

Mais il ne faut pas croire que, même si on les apprend à l’école, les fables sont des textes pour les enfants : sous une apparence d’humour ils sont souvent tristes, difficiles à déchiffrer et le sens n’est pas toujours évident. « Les Animaux malades de la Peste » n’est pas l’une des plus simples. Il est nécessaire d’en expliquer la signification même pour des ados. On appelle cette forme de critique déguisée une satire (forme satirique2)

La Fontaine peint l’homme avec tous ses défauts (avarice, hypocrisie, ruse, fourberie3, malhonnêteté etc.) et le plus souvent de façon pessimiste. Au premier stade le récit raconte les ravages causés par la peste, vue comme un châtiment divin, (plus près de nous on peut rapprocher cela de l’époque où le Sida était considéré aux USA comme une punition de Dieu envers les homosexuels). Puis se concentre ensuite sur la recherche d’un sacrifice à offrir au ciel afin d’arrêter l’épidémie. Cette fable est constituée par les discours successifs du lion, du renard et de l’âne, et finit par une morale sur l’injustice qui caractérise les relations entre les forts et les faibles. (« La loi du plus fort »). Cette inégalité entre les puissants et le peuple, ainsi que la description de la cour, sont les priorités de La Fontaine. La fable « Le loup et l’agneau » aborde d’ailleurs le même sujet de l’injustice, une nouvelle fois au détriment du plus faible.

Le style est assez sophistiqué aussi. Nous ne pouvons détailler tous les éléments qui rendent ce récit vivant et complexe, ni  analyser la portée satirique du texte, mais quelques exemples suffiront à en donner une idée.

Notons déjà que se rajoute à ce monde animal imaginaire (mais truffé d’analogies) une référence mythologique avec « l’Achéron » (fleuve de l’enfer chez les Grecs). Les premiers vers de la fable exposent une situation tragique. On retrouve le champ lexical du mal (« terreur », « crime ») avec accumulation. « Mourante vie » est un exemple parfait d’oxymore4 qui montre que l’agonie est partout présente).  Une écriture rythmée est le principal moyen de donner de la vie à un texte : d’une part par les ponctuations en grand nombre tout au long du poème  créant un rythme rapide, ainsi que par l’hétérométrie5 des vers -c’est-à-dire qu’ils ne sont pas réguliers (alexandrins, octosyllabes, vers de 3 pieds : « Le berger »)- qui donne également un rythme saccadé. L’alternance entre narration et discours direct donne non seulement du rythme mais aussi une impression de réalité, de proximité. Par contre l'utilisation de l'imparfait (« faisait aux animaux la guerre ») signifie que cette situation n'est pas éphémère6, qu'elle se prolonge dans le temps. Chacun sait qu’une action au passé simple est une action subite et courte alors qu’à l’imparfait elle dure dans le temps.

Sans entrer dans les détails, on ne peut passer sous silence l’essentiel du poème qui est centré sur la stratégie des plus forts ; elle se décompose en 3 points : l'invitation à la confession : le lion, reconnu comme l'animal le plus puissant, se place entre Dieu et les autres animaux. Celui-ci affirme que la Peste est un châtiment de Dieu et que la seule solution pour calmer la colère divine est de sacrifier l'animal qui aura commis le plus gros péché (principe du Bouc émissaire5). Il incite donc tous les animaux à se confesser afin de définir qui est le plus coupable. Le roi des animaux, est le premier à  passer aux aveux, ce qui est habile de sa part car il sait que par sa position il ne peut être sacrifié. Cependant, il se plie lui-même à la règle qu’il impose : la situation a mis les animaux presque sur un pied d'égalité (« tous étaient frappés ») ; de plus, son exclamation « Mes chers amis », montre une proximité entre le souverain et ses sujets. Celui-ci avoue avoir dévoré un troupeau de moutons et son berger. Il minimise sa faute en parlant de péché de gourmandise et en employant l'adverbe quelquefois (« même s'il m'est arrivé quelquefois de manger le berger »). Il ne doute pas une seconde d’être épargné…  Puis,  la ruse du Renard : Le Renard ne blâme pas le Lion ; il le flatte au contraire en cherchant à minimiser encore plus sa faute. Pour lui, les moutons ne sont qu'une sous-espèce et devraient être honorés d'avoir été mangés par le Roi et la mort du berger n'est pas plus importante car les humains sont les ennemis des animaux. On peut remarquer que le Renard utilise le terme « animaux » au lieu de dire « nous », il fait ainsi une distinction entre les privilégiés et la « racaille ». Il range les animaux dans des classes sociales. On peut remarquer que ce dernier, a fait l'éloge du Lion, l’a assuré de sa fidélité, pour gagner sa protection, mais il n'a pas confessé ses fautes. Enfin, ce qui  frappe le plus c’est  l’injustice qui frappe  l'âne, et sa condamnation à mort, pour la seule raison qu’il est (trop ?) honnête et ne sait pas se défendre. Il n’argumente même pas, il apporte juste un témoignage très court. De plus, il s’accuse lui-même « quelque diable ainsi me poussant, je tondis de ce pré la largeur de ma langue et je n'en avais nul droit puisqu'il faut parler net ». A la différence des autres animaux, sa plaidoirie est écrite au discours direct, sa faiblesse est mise en avant.   La faute de l'âne est donc d'avoir mangé l'herbe d'autrui, ce qui est une peccadille par rapport aux crimes du lion. Pourtant il semble être le coupable idéal, car faible et maladroit. Cela arrange bien les animaux qui décident à l’unanimité de le sacrifier.

La morale de cette fable est explicitée dans les deux derniers vers : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir » (innocent ou coupable). Cette fable cherche en effet à démontrer que la justice est défaillante et corrompue, car elle juge coupable les gens en fonction de leur statut social, de leur puissance ou de leur éducation et non en fonction de leurs fautes. On peut noter que nombreuses morales de La Fontaine sont restées de célèbres adages7 encore employés de nos jours (« la raison du plus fort est toujours la meilleure »).

Bien sûr le fabuliste ne peut s’empêcher de laisser entrevoir sa propre opinion : l'ironie paraît au vers 48: « de petits saints » ou encore « manger l'herbe d'autrui, quel crime abominable ! ». Il se moque donc discrètement de ce semblant de justice. Il tire une morale amère sur les graves manquements de la justice et du système social de son temps, où la domination et l'injustice l'emportent sur l’égalité.et cette farce au départ divertissante, devient bientôt une violente critique à l'égard des puissants.

Pour finir ce trop long discours, juste un mot à propos des dessins (gravures) d’illustration, Gustave Doré le grand artiste à qui l’on doit notamment les illustrations de la bible et des fables, n’est autre que le grand oncle de Julien Doré…Ses gravures sont d’une précision et d’un réalisme remarquables mais représentent souvent des scènes violentes…

1. Censure : interdiction d’une parution

2. Forme satirique : imitation pour se moquer

3. Fourberie Tromperie

 

4. Oxymore : Figure de style qui associe 2 termes opposés

 

5. Hétérométrie : Emploi de vers de longueurs différentes

 

6. Ephémère : qui ne dure pas

 

7. Adages : Proverbes

 

 

 

 

 

 

 

 

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