La page poésie d'Odile : « Il n’y a de haines plus implacables que celles de l’amour »
Quelques mots sur la page « Il n’y a de haines plus implacables que celles de l’amour »
Revenons à des pages plus classiques, le confinement m’en a tenue éloignée un temps pour élargir aux chansons le cercle de la poésie et m’occuper un peu plus des enfants en « manque de culture ». Nous n’allons pas repartir pour autant sur les mêmes thèmes sinon cela deviendrait lassant. Donc après avoir fait le tour de l’amour guimauve, intéressons-nous à des sentiments plus violents. Qui n’a pas une fois détesté dans sa vie une personne aimée ? Pour une trahison ou simplement une grosse déception. L’être humain est bizarre et brûle souvent les idoles qu’il a adorées*… C’est souvent nécessaire d’ailleurs, pour pouvoir passer à autre chose. Je trouve les trois poèmes et surtout « A l’amour » et « Amour toi le larron » très semblables sur le fond et même parfois sur la forme. Les textes de Marceline Desbordes-Valmore étant souvent très longs, j’ai coupé un morceau de ce poème, mais notons que plusieurs termes sont identiques aux autres : (trompeur pour le premier, traître pour le deuxième, trompeur sur le troisième), ainsi que le fait de personnifier l’Amour et de s’adresser à lui (comme au Dieu Eros) « Mon ennemi, l’Amour, je te hais et je t’aime ».Vs « Amour... que je te hais de m'apprendre la haine ! »
L’un des poèmes s’adresse entièrement à l’Amour, l’autre passe à un interlocuteur que l’on suppose être le lecteur. Le fait de s’adresser à une tierce personne, et la prendre à témoin, renforce le cri de haine. Le Vaisseau quant à lui utilise la métaphore du navire coulé, qui représente le cœur frappé par le désamour. A noter ici aussi la personnification des sentiments et toute la symbolique tournée vers le lexique de la mer et des marins. A noter également la personnification du Rêve et sa mise en valeur en tant que dernier mot du poème. Les exclamations et interrogations se multiplient dans ces 3 œuvres qui utilisent les mêmes procédés classiques pour magnifier la puissance des sentiments.
Que des « cas » aujourd’hui : Renée Vivien (Pauline Mary Tarn, surnommée « Sapho 1900 »), est une poétesse homosexuelle britannique de langue française aux multiples appartenances littéraires (symboliste, romantique tardif…) Comme George Sand qui s’appelle en réalité Aurore, elle a pris un prénom à consonnance masculine. Elle reste l'une des grandes icônes du talent féminin. Emile Nelligan est un poète québécois influencé comme Renée Vivien par le mouvement symboliste ainsi que par les grands romantiques. Souffrant de schizophrénie, Nelligan est interné dans un asile psychiatrique peu avant l'âge de vingt ans et y reste jusqu'à sa mort. Mais les grands artistes sont souvent un peu dérangés non ?
J’ai choisi des tableaux forts et peu connus (Belo est un contemporain) pour accompagner ces cris de haine et d’amour. Bouguereau et la violence du mouvement, Munch et la violence du désespoir (comme toujours), Belo et la violence du déchirement. Je ne voudrais pas plomber l’ambiance mais les sentiments négatifs sont fichtrement bien rendus n’est-il pas ? Je crois que je reviendrai à l’eau de rose la prochaine fois… (ou à un thème fleur bleue pour rester dans les couleurs tendres).
*Quelques références à cette expression « brûler ses idoles »
L’expression « Brûler ses idoles » signifie on le sait, « renoncer à ses opinions au profit d’autres complètement opposées ». Mais d’où vient-elle ? Comme toujours plusieurs légendes historiques, religieuses ou mythologiques se mélangent.
-Histoire : La légende raconte que le roi franc Clovis, face aux Alamans, lors de la bataille de Tolbiac « aurait prié tous ses dieux païens avant de se résoudre à implorer celui de son épouse, la chrétienne Clotilde » qui l’en suppliait depuis longtemps. Vainqueur, il aurait par la suite décidé de se faire baptiser. Ébloui par la cérémonie, Clovis aurait demandé à l’évêque Rémi « Est-ce là le royaume de Dieu ?» Ce à quoi le saint homme répondit : « non, c’est le chemin qui y conduit. Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré ».
- Religion : « Prosterne-toi, adore, et tu auras la gloire, la puissance » dit Satan (3ème tentation de Jésus au désert -Luc 4, 1-13-) : la réponse du Christ : « Arrière Satan ! » est le feu de joie qui brûle les fausses images de Dieu. C’est par le même reproche cinglant : « Vade retro Satanas ! », (Arrière Satan) que Jésus a obligé Pierre à se détacher des péchés humains comme l’orgueil. Pierre idolâtrait tellement le succès qu’il ne pouvait pas imaginer la Passion, celle du Christ, et encore moins la sienne. Jésus l’a aidé à brûler cette conception trop païenne de la gloire, jusqu’à arriver à accepter lui-même le martyre à Rome, crucifié la tête en bas. Au lieu de vous prosterner devant des faux-dieux, jetez-les au feu et devenez libres !
-Bible : (Légende du Veau d’or) Le frère de Moïse, Aaron, avait ordonné au peuple hébreu de fondre toutes les boucles d'oreilles en or des femmes et des enfants, afin qu'il puisse couler une statue de veau qu'ils désigneraient et adoreraient comme leur dieu, (cf. le taureau Apis vénéré en Égypte). Lorsque Moïse descend du mont Sinaï et qu’il vit les Hébreux adorer cette idole, ce qui est interdit par le deuxième commandement, il a été pris d’une colère si grande qu’il a fracassé les Tables de la Loi sur un rocher. (Livre de l’exode) « En voyant que le peuple dansait devant un veau d’or, et l’adorait à la place du Dieu unique, il s’enflamma de colère. Il brisa les tables de la loi, car l’idole et la loi ne peuvent vivre ensemble. Il fit brûler le veau, le moulut en poudre fine, et en saupoudra la surface de l’eau qu’il fit boire aux Israélites. » ( Moïse a fait fondre l’or du veau et l’a fait boire au peuple : pour qu’il goûte la véritable amertume que produit l’esclavage, et se détourne ainsi de ce poison qu’est l’appétissante idole… Malheureusement… au départ le fruit de l’idolâtrie a l’air savoureux, désirable, comme le disait la première lecture de la Genèse…Pour brûler nos idoles, il faut d’abord démasquer leur stratégie trompeuse qui est de nous faire croire que c’est bon pour nous alors qu’elles nous empoisonnent. (Le goût du péché est souvent délicieux)